Le collectif Encore heureux... rassemble depuis sa naissance des personnes issues des luttes liées à l'intermittence, au chômage, à la précarité, des salariés qui travaillent dans le champ culturel et du médico-social, des patients, des associations de patients, des universitaires. Ces alliances impliquent la mise en commun de formes et de propositions qui dialoguent autant avec l’art qu'avec des pratiques sociales de soin et d'accueil.

 

    Le projet est hébergé par un lieu d'expérimentations culturelles et sociales situé au Mans et fondé par le théâtre du Radeau, la Fonderie. Ce lieu a vocation depuis 30 ans d'accueillir et d'offrir « le temps et la chambre » dans un espace de 4000 mètres carrés. Depuis 10 ans, pendant le mois de juin, nous y organisons les Rencontres Encore heureux..., au terme d'un travail de préparation échelonné sur toute l'année. Elles prennent la forme de séjours, d'expositions et de représentations, de projections, concerts, assemblées, conférences, diffusions radiophoniques. Ces rencontres accueillent pour un jour, trois nuits, ou une semaine, des hommes, des femmes, des enfants, du Mans et d'ailleurs, des équipes venues de lieux ou d'institutions – IME (Instituts médico-éducatif), Groupes d'Entraide Mutuelle, hôpitaux de jour, classe ULIS, Foyers, Lieux de vie, ESAT (Établissement de travail protégé pour adultes en situation de handicap), associations, musée, ainsi que des voyageurs curieux.

 

    Cette année, dans la grande cuisine de la Fonderie, nous avons servi huit cents repas, fabriqués de nos propres mains. Pendant les Rencontres Encore heureux..., la préparation collective des repas, une assemblée, un atelier dessin, une projection de film, l'accueil de nouveaux arrivants, etc. rythment le quotidien d'une journée. Toute l'année, nous partons à la rencontre et maintenons des liens avec des ateliers de pratiques artistiques, qui sont autant de « pratiques sociales » : marginaux dans les institutions qui les hébergent, ces ateliers sont des tentatives de dégager le temps nécessaire pour penser la subjectivisation, la désaliénation. Menés avec les moyens du bord, pris en main par les usagers eux-mêmes, ils sont l'outil et le témoignage d'une émancipation possible à laquelle nous apportons un abri, un appui et une résonance.

 

    Considérant que ce qui soigne arrive souvent au détour d'une expérience partagée, les Rencontres Encore heureux... se sont donc affirmées comme un assemblage précaire de présences, une tentative de résistance au morcellement, un aménagement d'espaces et de temps communs propices à des rencontres imprévues. Cette chambre d'échos de ce qui se passe ici et ailleurs permet d'agir et de penser l'accueil et la circulation de celles et ceux qui d'ordinaire ne figurent pas au cahier des charges de nos sociétés libérales avancées : les fous, les marginaux, les pauvres, mais aussi les enfants.

 

    Chemin faisant, nous nous sommes rendus compte de l'importance des séjours en Fonderie : possibilités de circulations et inscriptions ritualisées, ici au Mans, ils sont aussi des allers et retours depuis les institutions où le quotidien n’est pas toujours heureux. Cette « aire de séjour temporaire » est aujourd'hui un point d'extériorité indispensable, qui permet de voir, (re)penser, ouvrir à d'autres ce que l'on fait dans les établissements tout au long de l'année.

 

    La réalité est qu'il s'est constitué à partir du Mans un réseau qui fabrique aujourd'hui ses propres échos et rebondissements d'un lieu à l'autre. Ce réseau rend possible des collaborations avec des initiatives vivantes, à l'échelle locale et nationale.

Mais, car il y a un « mais », ces alliances sont à ré-envisager chaque année. Ce réseau qui tient de l'étirement d'une trame géographique, politique et existentielle doit impérativement maintenir son ouverture. Or, nous sommes comme partout en proie à l'aliénation et à la précarité qui détruisent les espaces et les communautés de soin. Ces derniers mois, la Région Pays de Loire à laquelle nous sommes géographiquement rattachée, nous a informé qu'elle ne soutiendrait plus d'initiative en direction des publics liés au handicap hormis des investissements sur des équipements concernant l’accessibilité que la Fonderie possède déjà. En raison du développement inter-régional de ce projet, nous sommes à la recherche de soutiens financiers qui soient plus adéquats aux dimensions du réseau que nous avons constitué.

 

    La continuité et la durée qu'impose l'accueil de personnes fragiles, les recherches de financements, le maintien d'un foyer conceptuel, sont des enjeux à tenir. Nous sommes administrativement et politiquement adossés au lieu Fonderie depuis le début, soutenus par la ville du Mans et le département de la Sarthe. Nous avons besoin d’une consolidation économique afin que notre équipe puisse tout au long de l’année poursuivre et élargir ce réseau en direction de lieux parfois très isolés géographiquement et institutionnellement, faire connaître l'initiative, préparer et coordonner les Rencontres à l'année, organiser et préparer l'accueil des ateliers pendant les Rencontres, assurer leurs besoins en fournitures et matériel technique.